Histoire d'une rencontre
Six heures moins le quart du matin. Le Kodak en bandoulière et
les deux mains dans les poches, je me demande ce que nous sommes venus
faire là, plantés au milieu de nulle part, face à
la vallée plongée dans l’obscurité.

Seul
indice rassurant : j’aperçois les deux photographes
professionnels, un Chinois et un Japonais, que nous avons
croisés la veille chez Madame Xiao Yu.
Les
première lueurs pâles de l'aube sur les rizières en
terrasse de Duoyicin.
Il est sept heures pile. Maintenant je sais
pourquoi nous sommes là.
Azuma
le Japonais, et Mao Qi le Chinois nous ont repérés et
nous saluent. Ils nous expliquent qu’ils viennent de Shangaï
et qu’ils sont là depuis trois jours, à attendre la
météo ; et qu’aujourd’hui, c’est LE
jour ! !
Sept heures vingt. Dès que le soleil a dépassé la
ligne de crête, les « miroirs du ciel » se sont mis
à scintiller.
Huit
heures. Les nuages de brumes commencent à monter depuis le bas
de la vallée, comme aspirés par le ciel, prenant en
écharpe le sommet des montagnes. Pour les deux photographes il
est temps de partir pour rejoindre un point d’observation au
dessus du village de Duoyicin qui se réveille dans la brume.
Azuma nous propose de les accompagner. Aucune hésitation ! Nous ne nous quitterons plus jusqu’au soir.
Nos
deux compères connaissent tous les sentiers du district ; cela
fait quatre ou cinq fois qu’ils viennent dans le Yunnan. En route
! Le chauffeur conduit le 4X4 à toute allure sur les chemins de
montagnes.
Une
demi heure plus tard nous voilà de nouveau à pied
d’œuvre. Les Canon, Nikon et autres Hasselblad se remettent
à crépiter.
Retour
vers Yuanyang. Arrêt photo tous les quart d’heures.
C’est Azuma le chef ; assis à l’avant il scrute le
paysage et donne les ordres au chauffeur. A l’arrière,
avec son EOS 1D sur les genoux, Mao Qi s’économise ; la
veille il s’est foulé une cheville.
A
chaque arrêt c’est le même rituel : le chauffeur
descend en courant, ouvre la portière pour Marie et ensuite le
haillon arrière. Un rayonnage occupe l’ensemble du coffre
de l’énorme 4X4 ; on dirait le rayon photo de la Fnac :
des trépieds, des téléobjectifs, des
boîtiers, du numérique et de l’argentique, du 24x36,
du 6x6, des glacières pour les pellicules, j’en passe et
des meilleurs. J’ai le droit à un casier pour mon pied et
mon…numérique jetable.
Azuma
ne nous a accordés que deux heures de repos à midi. Le
temps d’aller se régaler chez madame Xiao Yu, de siffler
une bière et de retourner à l’hôtel pour
recharger les accus (de l’appareil photo). Mao Qi en a même
profiter pour aller voir le docteur qui lui a planté quelques
aiguilles dans la cheville.

Grâce
à sa séance d’acupuncture, Mao Qi a repris du poil
de la bête. Pas le temps de chômer. Nos deux compagnons
préparent la
mise en scène de la dernière séance photo de la
journée. Mise en scène grandiose pour l’occasion !
D’abord le casting : deux paysans Hani avec leur hotte sur le dos
et une paysanne avec son buffle. On discute les prix, on se met
d’accord sur le scénario. Pour cinq yuan de plus on a le
droit à l’enfant sur le dos du buffle. Il faut aller vite,
le soleil n’attendra personne pour aller se coucher.
Ensuite
c’est le recrutement de l’équipe technique : une
dizaine de gamins pour l’acheminement du matériel. Les
deux plus braillards sont chargées de hurler les consignes aux
acteurs qui déambulent au fond de la vallée, à
trois ou quatre cents mètres de là : « avance
», « revient », « demi-tour », «
moins vite »…

L’exercice
est difficile : les personnages ne doivent pas paraître
figés et doivent évoluer dans la partie du décor
la plus appropriée. Action ! moteur ! C’est parti. Le vacarme des gosses couvre largement le déclic des miroirs.
Le
soleil se couche sur LongSuBa. Quelle journée ! Il est temps de
retourner à YuanYang et d’aller dîner chez Madame
Xiao Yu.